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Médicosocial en capilotade. Un article paru dans la revue Pratiques. Les Cahiers de la médecine utopique n°109.

Témoigner d'une expérience dans le secteur médicosocial, attester du terrain, montrer le réel, ou rapporter quelques observations n'incite pas à raconter des fadaises. Le réel peut être cruel. Le témoignage, permettre à certains impétrants de sonder ce qui les attend parfois, pas toujours, mais souvent.


Plongée en eau trouble d'une expérience pas du tout hors du commun :


Manque d’hygiène, valse des directeurs, souffrances éthiques et surcharge de travail empêchent les collectifs d’exister. Perchés sur leurs certitudes autoritaires, les chefs à plumes ont des grilles de lecture raffinées au service d’une éthique néolibérale évidemment refroidie par le réel.

 

Tout indique qu’on est là dans la banalité du mal au sens le plus faisandé d’un néolibéralisme qui ne sort que bien habillé pour faire illusion.

 

Petites perles au collier de l’illustration :

 

À l’occasion d’une sorte de convention annuelle en septembre avec les cadres des établissements du groupe, un psychiatre interroge le DG (Directeur Général) sur les conditions de travail des personnels et notamment des aides-soignants. Le grand chef au micro, sur l’estrade, répond : « La souffrance au travail ? Nous accompagnons les résidents et leurs familles. Je sais les problèmes qu’éprouvent les salariés avec leur part de tourments personnels. Le terrain nous oblige, mais nous procure aussi de belles satisfactions. Ne focalisons pas. Allons de l’avant. D’autres questions ? »

 

Ça ne s’invente pas, l’alignement des planètes. Comme chaque mercredi, dans le Canard Enchaîné un dessin attire mon attention : Un vieux monsieur sur un fauteuil roulant s'enfuit à toute allure, tandis que s’approche une infirmière aux mains pas très nettes. Un de ses compagnons apeuré interroge la dame : « Vous ne changez pas de gants ? » Elle répond : « Restrictions budgétaires ! »

À mon arrivée, dans un couloir, une aide-soignante, l’air hagard, la larme à l’œil, au bord de l’abandon, me prend à témoin, mains en l’air, gantée de latex : c’est la quatrième toilette avec les mêmes. C’est pas hygiénique. Pas respectueux. J’en ai marre.

Pendant ce temps, la cadre de santé ne cesse de répéter qu’il faut arrêter de gaspiller !

 

Une cheffe de service éducatif, fort désappointée, m'interpelle et m’expose le dilemme qui l’envahit. Le DG, en l’absence du directeur d’établissement, lui intime l’ordre de ne pas déclarer à l’inspection du travail le planning des accompagnants établi pour un séjour d’une semaine à la montagne. « C’est une obligation. Si je ne le déclare pas, je commets une infraction. Si je lui désobéis, j'enfreins mon obligation de loyauté. » Intenable. Nous réfléchissons et décidons de lui écrire par mail : « J’ai pris note de votre requête de ne pas nous conformer aux exigences de la réglementation. N’hésitez pas à me dire si j’ai bien tout saisi… » Le DG, tout doux, répond dans la minute : « Vous m’avez mal compris. Cette obligation déclarative, certes ennuyeuse et chronophage, vous revient et vous devez vous y soumettre. Bien à vous ».

 

Ruissellement sur un subordonné. Un directeur laisse faire. Ça l’arrange bien. Les caprices d’un cadre se nichent parfois dans l’insupportable des injonctions contradictoires. Et cela peut rendre fou. Florent1 ergothérapeute, dort grâce à des médicaments depuis quelques jours. Sa cheffe lui ordonne de faire ou de ne pas faire, voire de défaire, quand ce n’est pas refaire. S’ensuivent crises de larmes et crise de nerfs et forcément accident du travail. Bien sûr, elle dément avoir dit, réfute avoir ordonné, ou infirme avoir imposé une action qu’elle n’avait pas confirmée. Oralement toujours. Alors un jour, Florent décide de tout tracer et d’écrire ce qu’on lui demande et même de confirmer ce qu’on ne lui demande pas dans des mails adressés à sa supérieure. Jusqu’au jour où, fatalement, parce qu’il apporte la preuve contenue dans un mail de la contradiction de la cheffe, le directeur lui répondra : C’est agaçant à la fin », lui dit le directeur. « Vous avez toujours raison ! » Superbe niveau d’analyse d’un petit chef qui ne prend pas ses responsabilités !

 

Faut-il condamner ce salarié âgé, professionnel du soin, qui tente de tenir son poste jusqu’à la retraite en fuyant les tâches les plus pénibles ? C’est lourd un corps. C’est fragile aussi. Quand le besoin d’aide passe pour une faiblesse, on se dit que ça reflète l’époque où les collectifs disparaissent. À la sortie, deux solutions : ou la délation, qui offre aux cadres l’occasion de passer pour des chevaliers blancs protégeant l’équipe, ou la solidarité clandestine entre salariés subordonnés pour tenter de mieux répartir les charges de travail. Les cadres feront comme s’ils ne savaient rien. Car cette désobligeance démontre leur utilité parfois relative. Et surtout, elle illustre que l’organisation du travail qui relève du pouvoir de direction est souvent un raisonnement d’une incurie crasse soi-disant dans l’ordre des choses.

 

Un jour, un membre du personnel s’est plaint de n’avoir pas trouvé sa fiche de paie dans sa bannette. Le chef d’établissement exigea donc que chacun se présente à l’accueil à la fin du mois et signe un reçu en échange du document remis en mains propres par la secrétaire déjà fort occupée. En cela, il contrarie l’activité du bureau, ajoute à la charge de travail et freine le rythme. Cette punition collective illustre le niveau managérial. Le malaise pousse à la détestation générale. Les invectives fusent. La situation fut rectifiée grâce à un membre du personnel. Souvent, le droit est « un moyen offert aux faibles pour imposer aux forts » dit Alain Supiot. La Cour de cassation avait eu à juger l’illégalité de cette pratique d’une signature contre un document dû.

 

Pour son arrivée, Pignouf le 11e, diplômé en criminologie, rédige des notes de service à la vitesse d’un automatique au balltrap. Il impose sa vision, recadre à tout va et marque son territoire comme une bête. Une salle de réunion devient une salle à manger. Il place des plantes vertes à l’accueil qu’il fait repeindre et supprime les chaises. Il redistribue les casiers des vestiaires. Reconfigure les connexions téléphoniques. Change les cendriers. S’attaque à l’hygiène dans les WC et rédige une affiche qu’il fait plastifier par la secrétaire : « Il est interdit de jeter dans les toilettes ni essuie-mains, ni serviettes hygiéniques ni tout autre prévu à cet effet. » Bienvenue au criminologue de la bactérie et assassin de la langue. Nous voilà bien managés et bien protégés

 

La mère de famille est âgée et se déplace difficilement. Quand elle rend visite à son fils handicapé elle constate que les deux chaises à l’accueil ont disparu. Elle aimait bien papoter avec l’une des secrétaires. Aujourd’hui, elle ne s’attardera pas. Elle ne peut pas s’asseoir. Le nouveau directeur ne veut pas voir lambiner les visiteurs. Lanterner là retarde le travail des secrétaires, les distrait, freine la productivité. Si c’est une question de rentabilité, alors, évidemment… Le médicosocial est sauvé.

 

Dans le hall d’entrée de l’établissement, s’affichent en format A3 des photographies sélectionnées illustrant les activités de l’établissement à destination des résidents. Que des sourires. Rien ne déborde. Émouvoir les familles, convaincre les donateurs éventuels. Le bien être en étendard signe la vocation performative de cette communication.

 

Pendant la Covid, aux premiers jours du confinement, chacun des salariés reçoit un mail de la direction générale. Les « hauts » cadres peuvent rester chez eux. Les autres doivent occuper le terrain. Pour les métiers majeurs, les services essentiels, les personnels indispensables, c’est coucouche panier papattes en rond. En ces temps de perturbations économiques et sociales, soudain et plus que jamais, on n’échange plus, on invective. On ne dialogue plus, on impose. On ne confronte plus, on affirme. On n’analyse plus, on élabore des plaidoyers. La crise permet de conforter les postures dominantes.

 

Les fauteuils roulants dans les couloirs avant les petits déjeuners inspirent les réprimandes des petits chefs. Pourtant, placés là, ils permettent aux personnels de se mouvoir plus aisément dans les chambres à l’heure des toilettes et du ménage. Le travail est ainsi facilité, mais qu’importe : la circulation dans les couloirs, la sécurité dans les couloirs, vous comprenez…

 

Fabuleux petit directeur d’un bel EHPAD public en région parisienne. « J’ai fait sciences po », disait-il en boucle, comme pour empêcher toute contradiction. Il avait missionné un psychologue du travail pour soutenir les personnels situés au rez-de-chaussée. Il aurait bien fait d’inclure son étage où souffraient les cadres et les services administratifs. Bien plus qu’au rez-de-chaussée où même les personnels de service régulaient discrètement leurs difficultés de manière autonome et sans heurt.

 

Deux aides-soignantes se sont battues, poussées à bout par le manque de temps, l’impossibilité de s’accorder, se coordonner, se comprendre, s’entendre, même sur une broutille. Elles sont convoquées au siège pour se justifier. Les chefs et la DRH, voulaient que les bretteuses avouent. Qui a commencé ? Qui a agressé ? Pourquoi ? Qui a tort ? Qui a raison ? Le niveau baisse. Ils sont assez retors et fourbes ces piètres responsables, pour prétexter de ne pas comprendre ou feindre d’avoir oublié les principes de la protection du salarié énoncé dans la première phrase de l’article L41 21 du Code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » Les deux querelleuses auraient pu dire : « Par votre organisation du travail qui relève de votre pouvoir de direction, vous créez les conditions d’une pression infernale ». Elles n’avaient donc qu’une question à poser à ces petits marquis du monde moderne : Votre responsabilité étant de nous protéger au travail, que comptez-vous faire ?

 

 

1. Prénom rectifié.

 


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LIONEL CAGNIART-LEROI - Psychologue clinicien du travail
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