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Le soin ? De qui ? De quoi ?

Dernière mise à jour : 16 déc. 2021

Prendre soin de soi par les deux bouts, le somatique et le psychique. Ne pas sacrifier l’un au bénéfice de l’autre. Ne pas souscrire non plus aux chants des sirènes et porter un regard sur le contexte, l’entourage, le cadre. Pas facile de rester en bonne santé. Au travail peut-être plus qu’ailleurs.

 

Article paru dans la revue

Le patient face au système de soin

 

Depuis quelques années déjà, les propositions de massages, de bien-être, de sophrologie, de yoga en tous genres et autre coaching aux atouts fluorescents se multiplient. Un peu au rythme des vacances à la ferme, chambres d’hôtes isolées dans la nature, igloos, tentes et tipis à la campagne, sans parler des retraites en monastères. Pour fuir ? Se ressourcer ? Une ode à la naturopathie dans tous ses états. Et qui mène à quelques dérives. Mélangez un peu de grec et de latin, fabriquez de jolis petits mots qui disent à moitié ce qu’ils désignent et faites en sorte que des personnes accordent du crédit à votre tambouille. Restez dans les clous de la loi, ne soyez pas démasqués et tout ira bien.


Pendant que fleurissaient des lieux et des services de ressourcement, que se développait une économie du soin et de l’attention, les pouvoirs publics s’intéressaient aux sectes. Les Mandarom fleurissaient dans les régions à l’ombre des vallées et des lieux perdus. La Miviludes annonçait veiller aux dérives sectaires. Mais avant qu’advienne la dérive, avant que surgisse l’abus de faiblesse, il faut bien que quelque chose dans la société fabrique un peu d’asthénie générale. « À quelque chose malheur est bon ». Suffirait-il d’un proverbe ? Sur le terreau des désespoirs prospèrent les croyances. L’église garantit le paradis. Les hommes promettent du résultat. Certains plus que d’autres avec les mots empruntés au lexique mystique. Le pompon est décroché aujourd’hui par ceux qui proposent aux abîmés des organisations du travail de se réfugier dans leurs gîtes et autres mas provençaux. Au programme : yoga, régime détox, marche à pied, caresse des arbres, recherche des énergies telluriques ou cosmiques, activités plus ou moins culturelles ou manuelles. Et manger des champignons ? Leur vocation affichée : retrouver la santé sans rien changer au monde du travail qui détruit, rend malade, estropie.


Au sommet des bienfaiteurs autodéclarés, on trouve des investisseurs qui misent sur des cliniques spécialisées à fort potentiel pécuniaire, où pourront se réfugier les gueules cassées du travail. À la guerre comme à la guerre… Des chercheurs reconnus ont pourtant démontré que c’est le travail qu’il faut soigner pour garder la santé des travailleurs ou même sauver des vies. S’organisent donc des structures avec des services qui proposent de soigner l’homme plutôt que le travail. Se faisant, elles participent à un jeu de bonneteau en laissant penser que l’homme au travail est fragile, mal formé, inorganisé ou fainéant. Cette approche spécifique divise et renvoie le laborieux à des responsabilités individuelles pour mieux faire oublier celles de l’organisation du travail qui s’exprime dans un rapport de subordination renforcé. Se faisant, en brisant les repères d’une réflexion constructive, le pouvoir managérial pousse l’individu vers sa solitude.


Par manque de moyen, le salarié ira au plus pressé, au plus prometteur et ne verra que le champ dans lequel il peut agir librement : lui-même, son corps et son esprit. Il consultera. Comme si le seul moyen de servir le capital était d’achever celles et ceux qu’on accuse de faiblesse alors qu’ils font tourner la machine économique. Pas d’inquiétude. On ne manquera pas de main-d’œuvre, ni de soldats. L’armée de chômeurs est là pour y pourvoir. La santé des travailleurs n’a jamais été le souci majeur de l’économie, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire.


Dans son livre, Histoire de la fatigue, Du Moyen Âge à nos jours, paru aux éditions du Seuil en 2020, Georges Vigarello développe le rapport entre l’homme et son utilité qu’on a cherché à mesurer quand il s’est agi d’en tirer profit, de « performer » dirions-nous aujourd’hui. À l’époque, c’était déjà en lien avec les capacités humaines de production au travail. Maximiser les profits versus optimiser les efforts de l’homme sans le casser complètement pour qu’il rapporte un maximum dans un système corseté par les exigences économiques de ceux qui en tirent avantage.


J’ai lu dans le mail d’une ancienne infirmière devenue cadre, aujourd’hui à la retraite et néanmoins très active : « La vraie révolution va être de s’occuper des gens abandonnés de tous et pas seulement de la médecine. ». Ça interpelle.De quoi s’occupe-t-on quand on soigne aujourd’hui dans le circuit balisé du système de la santé publique ? Quel est le soin le mieux reconnu, mais surtout le plus facile à gérer ?


La mécanique du corps (pour le dire en parfait béotien). Pas celle de l’esprit, de la psyché. De quoi, donc, pas de qui ! Voilà le problème. Dans le titre d’un livre du professeur Yves Clot, Le travail sans l’homme ? j’ai toujours pensé que la question se référait au rêve d’une industrie qui n’a jamais supporté que le travailleur ait un psychisme. Cet indécrottable bipède ne cesse d’emmerder le monde avec ses états d’âme. Taylor et sa suite avaient bien cherché à le réduire à une pure mécanique corporelle en décomposant ses gestes au travail. Rien n’y a fait. Le bipède nous a sorti ses problèmes de stress, dépressions, burn-out et autres maux de vivre. Pourquoi ne peut-il pas se contenter de la machine osseuse et musculaire de son corps sans se laisser envahir par ce qui se passe dans sa tête ? Il faut dire que certains, scientifiques qui plus est, sont allés jusqu’à démontrer l’existence de ce truc incroyable qu’est la psychosomatique ! Alors, comme on ne peut pas lui couper la tête, on va quand même essayer de faire avec. On va lui proposer des papouilles et tout ira bien !


Le massage de la nuque pendant qu’on bosse devant son ordinateur permettait de belles images qui donnaient envie.

Aujourd’hui, certains amateurs ne sont plus de doux rêveurs qu’on pouvait encore situer autrefois dans leurs Mandarom. On peut les identifier. Ils ont repéré les failles d’un système qui brouille la vue et s’organisent. Dit comme ça, ça fait un peu fake news et théorie du complot. Du potentiel sonnant et trébuchant (surtout trébuchant) se profile à l’horizon. Vous allez voir, c’est du grand art. Un exemple parmi tant d’autres : une association composée de médecins et soignants se targue de venir en aide aux professionnels de santé qui souffrent de leurs conditions de travail.


Pour convaincre de leurs bonnes intentions au départ, ils ont rapatrié les connaissances structurées par les recherches en psychologie du travail. Sur la base de quoi, ils ont communiqué à tout va. En cinq ans à peine, de colloques en séminaires, de symposiums en conférences et causeries, la structure a su capter l’attention des politiques pourvoyeurs de subventions. Pendant ce temps, un certain marché du soin aux estropiés de l’économie néolibérale ciblait quelques solutions faciles. Il fallait convaincre pour pas cher et développer une communication « aux petits oignons ». Les plateformes d’écoute se mettaient en place. Des reportages montraient la convivialité forcée de groupe de collègues s’exerçant à la gymnastique le matin avec leurs chefs avant de s’asseoir au bureau.


Le massage de la nuque pendant qu’on bosse devant son ordinateur permettait de belles images qui donnaient envie. Les Chief Happiness Managers avec leurs corbeilles de croissants et de fraises Tagada paradaient. Bref, les faiseurs de bonheur étaient de sortie. La majorité des propositions pointaient les individus et non les structures qui malmènent les travailleurs et les cassent à coups de management par objectifs, benchmarking, évaluation, lean management, systèmes informatiques etc. Un management qui joint trop souvent l’inutile au désagréable comme le dit si bien Marie-Anne Dujarrier dans son livre Le management désincarné. Les meneurs et les faiseurs de ces dispositifs planent loin du travail réel au service de missions impossibles ou dépourvues de sens. Dans le droit fil de cette absurdité généralisée, dans l’ornière de cette impasse, une association enfle donc comme un bœuf et capte des moyens considérables pour asseoir une crédibilité de façade. Elle vient d’inaugurer un lieu soi-disant au service des soignants. Huit cents mètres carrés au cœur de Paris ! Et qu’est-ce qu’on y trouve ? Des propositions qui ne feraient pas tâche dans l’inventaire à la Prévert des offres de services que nous évoquions au début de cet article. Citons au hasard : « Atelier activité physique, condition de mieux-être. » Il est vrai que pour tenir quand on est soignant, il vaut mieux être en forme. « Atelier gestion du stress » devenu un grand classique. « L’alimentation optimale du cerveau », on ne va pas tarder à faire une prière. Et pour finir en effet : « Atelier mindfulness » ! Je vous épargne l’entier programme. C’est à se jeter par la fenêtre. Prendre soin ne peut pas être une lubie contenue dans de bons sentiments cotonneux. Ça ne peut pas non plus relever d’une approche hard-core au sens : ton-bobo-rentre-dans-une-case et-tais-toi. C’est un peu plus compliqué. C’est d’ailleurs pour ça que le citoyen lambda est perdu dans la forêt des propositions. Tout n’est pas que somatique ou que psychique. On voit bien que dans un univers comme dans l’autre, il est question d’une complexité à déchiffrer et plus personne n’est en mesure de dire aujourd’hui comment sortir de ce misérable foutoir.


En résumé, pour le soin répertorié dans les cases de la tarification à l’activité, on impose, on flèche les parcours, on réduit les temps d’attention et on facture. Pour le reste, voyez avec les dispensateurs de papouilles, les gourous du coaching et les sectes qui prient Dieu et ses acolytes. Je crois qu’elle voyait juste l’infirmière à la retraite…


Par Lionel Leroi-Cagniart


Article paru dans la revue

Le patient face au système de soin


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