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Lu : "Désobéir"

Dernière mise à jour : 13 déc. 2021

Frédéric Gros, Désobéir, Flammarion, 2019, Collection Champs/Essais.

 

Article paru dans la revue

Autopsie d’une crise (2e partie)

 

Depuis quelques mois, un virus offre aux uns une belle occasion de renforcer leur pouvoir de domination en accentuant le contrôle de nos faits et gestes, et aux autres une formidable opportunité de s’interroger sur les effets d’un enfermement dans une prison à ciel ouvert. Pour-quoi ce silence quasi général concernant nos libertés ? Le besoin de comprendre traverse ceux qui vivent cette désagréable impression de révolté solitaire.

Frédéric Gros propose une réflexion philosophique et psychologique soutenue intitulée Désobéir, parue en version poche chez Flammarion, collection Champs essais, en 2019. Le sujet est introduit par cet aphorisme de Wilhelm Reich : « La vraie question n’est pas de savoir pourquoi les gens se révoltent, mais pourquoi ils ne se révoltent pas. » Les nombreuses références qui soutiennent la réflexion de l’auteur nous amènent à dire qu’on est chacun en position d’avoir le droit de penser les impératifs qui gouvernent nos vies. Pour ce professeur de philosophie spécialisé dans la pensée politique : « Le consentement est un acte par lequel on se constitue prisonnier de soi-même. C’est une obéissance libre, une aliénation volontaire, une contrainte pleinement acceptée. Il sert de grille de lecture pour penser l’obéissance aux lois publiques. »

L’ordonnateur des grandes déportations, Eichmann, loyal à son serment initial, revendique la « moralité » de son obéissance et la fait porter par une responsabilité de pure loyauté. Plusieurs angles offrent à l’esprit des mots, des concepts, des outils d’analyses pour approcher la question de l’obéissance. Ce livre parcourt l’histoire et convoque bien des sommités pour tirer des fils. « Diogène invectivait Alexandre, le roi des rois, en le traitant de bâtard et en hurlant "Je cherche un homme" ». Se sentait-il bien seul ? Depuis Pic de la Mirandole, on n’a cessé de dire : la dignité de l’homme tient dans sa liberté. Si le débat peut faire jouer la dignité contre la liberté, c’est que le concept même de consentement noue une articulation contradictoire. Consentir, c’est consentir librement à être dépendant d’un autre.

Nous nous obligeons envers l’État à obéir aux lois dont la finalité première n’est pas la justice, mais la sécurité. Furieusement actuel. Alors surgit cette idée que l’idéologie du consentement, c’est de nous faire comprendre qu’il est toujours trop tard pour désobéir.

Parmi une foison d’exemples, Frédéric Gros rapatrie l’expérience de Solomon Asch qui démontre que devant l’évidence, nous sommes 40 % à contredire notre perception première face à un nombre de personnes qui démentent l’évidence. Le cobaye voit bien qu’il y a trois traits sur le tableau, mais tous les autres affirment qu’il y en a deux. Une petite voix me dit alors : « Fais comme tout le monde. Ne te pose pas de question. Ne te fais pas remarquer. Ne fais pas le malin. À quoi bon ? » La vérité est une erreur majoritaire. Il y aurait donc la crainte de se sentir seul, isolé, exclu, rejeté à l’idée de dire une évidence. Comme s’il s’agissait d’une désobéissance…


Par Lionel Leroi-Cagniart

Article paru dans la revue

Autopsie d’une crise (2e partie)


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