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LU. Les fossoyeurs

Dernière mise à jour : 22 oct. 2022

Victor Castanet, Les fossoyeurs, Éditions du Seuil, 2022.


J’ai lu ce livre. Quelles questions pose-t-il vraiment ? Comment dépasser les sentiments que son contenu peut animer en chacun des lecteurs ? Quelles portes de sortie ou solutions est-il possible d’envisager ? Pourquoi est-il nécessaire de ne pas s’embourber dans un mode réactionnel prompt à générer des passions tristes ?


Intervenant en Ehpad depuis quelques années déjà, j’ai souvent remué des questionnements qui transcendent des difficultés concrètes vécues de part et d’autre par les acteurs en fonction de la place qu’ils occupent dans un système bien compliqué et qui nous gouverne d’une certaine manière. Trois axes majeurs semblent indiquer où le bas blesse au niveau des relations sociales, prescrites par un système qui oblige, contraint, distord le sens premier de la relation pour en faire une utilité calculable.



Sortir le soin du marché est un vœu formulé par le président de la République lors de l’annonce du premier confinement. Plutôt bien vu. Mais au-delà de l’annonce ?


Sortir la subordination du contrat de travail pourrait être mal vu par les uns et bien vécu par d’autres. Mais rien ne bouge de ce côté-là.


Sortir d’un rapport de domination la dépendance du soigné au soignant, semble rencontrer quelques résistances, alors que c’est à contre-courant de l’idée que l’on se fait du care.

Comment en sortir ?


Les seules Ehpad que j’ai professionnellement fréquentées et qui ne présentaient pas les stigmates de la dérive décrite par Victor Castanet étaient des établissements publics ou privés à but non lucratif. Étaient-ils pour autant des havres de paix et de bien-être ? Pas vraiment.

La situation était moins grave, mais pas forcément de celles dont on peut rêver dans un monde idéal où le chiffre ne serait plus le sujet de la gouvernance. Quand l’objectif de l’intérêt ne sera plus uniquement financier, quand l’organisation des soins sera élaborée avec celles et ceux qui les dispensent, quand certaines directions de personnels sortiront de l’impasse du rapport de subordination en guise de toute-puissance, quand les conseils de la vie sociale seront autre chose que des chambres d’enregistrement ou des instances qui rappellent à chacun la place qu’il occupe pour qu’il n’en sorte pas, quand la vocation de la machine sera d’être au service de l’humain sans se contenter de verbeux et de verbiage sur papier glacé, quand le soin des aînés et des autres sera sorti du marché, de la finance, de la bourse et de la rapacité de ceux qui les dirigent, alors, peut-être qu’une lueur d’espoir vacillera au fond du tunnel sombre de ces jours sans fin qui ne sont pas des jours heureux.


Si la forme des observations rapportées dans le livre figure le fond qui remonte à la surface, alors, les vraies questions sont d’ordre général avant d’être particulièrement traitées, au risque de passer à côté d’une transformation profonde et salutaire. Un livre qu’il faut lire pour ne pas s’en laisser conter par le menu.


Car les détails du menu sont plutôt croustillants dans le livre Les fossoyeurs. On les retrouve un peu partout dans le secteur de l’aide à la personne, vieillissante ou handicapée. Par exemple, l’instrumentalisation des directeurs de terrain. Je l’ai vue dans une de ces structures médico-sociales où j’étais salarié et où, en moyenne, pendant dix ans un responsable a succédé à un autre tous les sept mois.

La programmation militaire du timing des soins à la chaîne ? Idem, dans les mêmes conditions durant dix ans.

Ça laisse le temps d’apprécier l’incurie ambiante. Des chefs de service qui souffrent sans s’interroger sur leurs conditions de travail et qui s’en sortent en stigmatisant l’activité de leurs équipes ? J’ai vu ça aussi.

Des cadres d’un siège social qui débarquent en mode Men in Black dans une résidence qui vient d’être reprise par de nouveaux dirigeants ? Et qui agissent comme des tueurs à gages pour s’imposer sans passer par la case politesse et respect ?

J’ai aussi vu ça de la part d’une fondation qui dispensait des vœux de bonheur à tous sur papier glacé en ne songeant qu’à son taux de croissance concurrentiel dans le secteur du handicap. Car là aussi se jouent des histoires de gros sous, l’air de rien…


Pour comprendre ce qui s’organise, il faut à la fois illustrer, décrire le réel et traduire ce qui se passe et qu’on imagine à la marge, mais qui n’est en réalité pas du tout marginal. C’est le sens de l’histoire de notre société. Et le livre de Victor Castanet le démontre parfaitement.

À lire absolument pour humer l’air du temps.

Note de lecture à paraitre en avril 2022 dans le n°97 de la revue Pratiques "Les cahiers de la médecine utopique".




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