Thierry Jobard, Contre le développement personnel, Rue de l’échiquier, collection Authentique et toc, 2021
Par les temps qui courent à la vitesse d’une mondialisation qui ne nous demande pas notre avis, bien au contraire, les petits livres tout en concision ont le vent en poupe. Un peu comme les thérapies brèves. À la manière de ce qui relève du prémâché. Du contreplaqué. Du meuble pour un temps. Celui d’une mode.
Thierry Jobard réussit le tour de force d’une démonstration radicale. Le titre de son livre de 85 pages dit tout d’un coup : Contre le développement personnel. En à peine moins de signes, j’aurais bien aimé : La passion de la baliverne.
Thierry Jobard qualifie le développement personnel (DP) de mode. Donc, ça passera. Rassurant ? Voire. Car ce qu’il révèle de notre condition dans ce monde au présent fait frémir. Tout part, ou à peu près, de la psychologie positive. Aujourd’hui, on prend une tranche de DP comme on avalait une dose de LSD. Ça promet beaucoup, ça contente à bon compte, ça procure une jouissance sans effort, ça travaille à notre place. Il suffit d’y croire et de se laisser porter.
Pour prendre la direction de la baliverne, il suffit de lire les indications sur les panneaux : Écouter son ressenti, vivre selon son cœur, cultiver de vrais liens, croire en soi…
Le marché de la psychologie positive (ils n’ont pas osé « négative »), science positive s’il en est, a le vent en poupe et charrie le bois mort de la spiritualité New Age, de la PNL, de l’analyse transactionnelle, de la méditation, de la sylvothérapie, du coloriage et de la pâte à modeler. Sans oublier le coaching. Il promet d’être plus performant et plus épanoui dans son travail.
L’auteur a-t-il eu l’idée de ce thème en portant les cartons de livres sur le sujet au rayon sciences humaines de la librairie strasbourgeoise où il est responsable ? La clé de sa motivation relève-t-elle d’un mal de dos ? L’inflation de parutions sur le sujet dessine une courbe qui suit de près celle du niveau de désespérance dans nos sociétés avachies.
L’approche utilitariste du « bonheur » abaisse le niveau d’exigence. Déclassé en « bien-être » dans les entreprises, il nous semble plus atteignable à nous petits occidentaux fatigués de nous-mêmes.
La proposition issue du DP découle de questions confondues en promesses et finit en réponses de Normand : atteindre ce à quoi nous aspirons tous. Joie, paix, sérénité, santé, réalisation de nos rêves et de nos aspirations.
Lors de stages, rassemblements ou workshops, ceux qui se sont demandé : « qu’est-ce que je fous là ? » ne sont peut-être pas les plus à plaindre. Dans ce contexte, quand le doute se présente, c’est peut-être un signe de bonne santé, Cf. Descartes et le doute méthodique « je pense ».
Pour Hegel : « Ou le bonheur n’existe pas, ou c’est un bon café pris en plein air. » Le bonheur, c’est la bonne heure. Merci de le rappeler.
Elles sont belles les promesses au tableau du DP. Un vrai power point : accéder au trésor intérieur. En prendre conscience et l’utiliser. Le moi secret. Le moi intérieur. Le moi authentique et toc. Ça veut dire ce qu’on veut bien entendre. Un genre de truc qui flatte aux oreilles. On ne sait pas quoi, mais on devine un truc. Si on se tourne vers des philosophes qui se sont donné un peu de peine pour déchiffrer, on croise Hume qui précise : « Je ne peux à aucun moment m’apercevoir moi-même sans une perception, et ne peux jamais rien observer sinon la perception. » Il va falloir réfléchir. Aïe ! Avec le DP, tout me semblait simple, léger, facile. La preuve ? La pensée positive du développement personnel peut se résumer ainsi : une réalité vous gêne ? Faites comme si elle n’existait pas. Le DPiste, nous dit l’auteur, vous dira de regarder le doigt quand il vous montrera la lune. Pourquoi douter ?
Le DP s’occupe des gens bien portants. Ça ne veut pas dire équilibré. « L’objectif n’est pas de changer, mais de devenir qui on est », de « maîtriser la formule du succès » et de « dépasser ses croyances limitantes », dixit Anthony Robbins dans ses séminaires auxquels vous pouvez vous inscrire pour quelques centaines d’euros. Vous aurez l’occasion de « devenir la meilleure version de vous-même » pour être capable de changer, de s’adapter, de vous développer et d’évoluer ». Pourquoi ? Pour qui ? Évitez de poser la question. Vous pourriez commencer à piger dans quel monde vous vivez. Le livre de Thierry Jobard est un bon guide !
A paraître dans le numéro 99 de la revue Pratiques, Les cahiers de la médecine utopique.
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