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Photo du rédacteurLionel Leroi-Cagniart

LU : La novlangue managériale. Emprise et résistance

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022

Agnès Vandevelde-Rougale, La novlangue managériale. Emprise et résistance, Éditions érès, 2017.


La novlangue managériale agit tel un virus au service d’une subordination des travailleurs au Dieu néolibéral. Agnès Vandevelde-Rougale, socio-anthropologue publie sa thèse de doctorat à destination du grand public aux éditions érès en 2017. Elle est sous-titrée Emprise et résistance.


Comment passer à côté de ce livre sans le repérer et lui accorder la place qu’il mérite dans le thème de ce numéro? Son apport principal relève de sa capacité à nous faire entrevoir le contexte des mots et leur usage souvent détourné pour rentabiliser la carcasse humaine sans en avoir l’air.


Ce livre relève le défi de rendre clair un raisonnement que la novlangue s’ingénie à brouiller. C’en est presque mathématique. Comme une équation à quatre inconnues.

L’individu, et sa subjectivité, vivant et pensant avec les mots de l’ordinaire, de sa langue vernaculaire. En parallèle, l’entreprise, et son organisation, qui instrumentalisent l’homme en le dévitalisant par l’usage d’une novlangue qui le déconnecte, le débranche de ses capacités à se penser.


Victor Klemperer, philologue allemand, avait proposé la métaphore de l’empoisonnement des esprits par la « langue nazie », avançant que, « les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ».


Agnès Vandevelde-Rougale mobilise une métaphore biologique et médicale, celle de l’infection virale. Son travail de recherche rend compte d’un processus d’intériorisation du discours managérial constitué en novlangue managériale.

L’auteur ne s’y trompe pas quand elle postule que la métaphore de l’infection virale se veut un écho critique d’une pratique actuelle qui tend à renvoyer des problématiques psychosociales telle que la souffrance au travail à la sphère médicale. En effet, la souffrance au travail est d’abord prise en charge par le médecin généraliste quand il prescrit un arrêt de travail pour soustraire le travailleur à une situation nocive. Ou quand le médecin du travail requiert un reclassement ou déclare une inaptitude. Ou quand le psychiatre offre un appui médicamenteux et parfois psychologique pour tenir. Ou quand le psychothérapeute se penche sur les particularités de la personnalité, renvoyant les causes de la souffrance au travail à la sphère privée du sujet qui cherche à socialiser une souffrance impossible à partager avec les mots de l’entreprise qui colonisent la pensée en structurant une incapacité à dire.


Georges Orwell décrivait un monde totalisant inquiétant dans son roman 1984. Aujourd’hui, finie l’inquiétude. La novlangue managériale véhicule une sorte d’impensé qui s’impose comme une évidence. Par exemple, il ne vient à l’idée de personne de contester les termes de compétition, de performance, d’évaluation, de référentiel, de script, de mérite individuel, de savoir-être, d’efficience, de mutualisation, de gouvernance… Le virus est donc installé et les émotions de chacun anesthésiées. La novlangue managériale chloroforme la critique et fige la réflexion. Les capacités de symbolisation sont amputées et ne peuvent résister à la vision du monde qui leur est imposée. À tel point, d’ailleurs, qu’on en vient à parler ordinairement comme si notre quotidien était vérolé par le langage de la firme : on gère ses enfants. On optimise ses chances. On rentabilise ses vacances…

...

La suite de l'article de Lionel Leroi-Cagniart en téléchargement juste en-dessous !


Article publié dans le n° 98 de la revue "Pratiques", Mots dits soient et mal y pansent de juillet 2022


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